Obligations du locateur dans un bail commercial
Avocats situés à Laval
Les principales obligations d’un locateur dans un contexte de bail commercial
Le bail immobilier en matière commerciale est le contrat qui lie le «locateur», qui est généralement le propriétaire de l’immeuble, au «locataire», qui loue l’immeuble à des fins commerciales. On établit souvent une distinction entre le bail commercial et le bail résidentiel, puisque ce dernier obéit à des règles beaucoup plus strictes qui visent à protéger les droits des locataires en matière de logement.
Il faut comprendre que les deux types de bail sont soumis à des règles du Code civil du Québec (ci-après le «CCQ»). Toutefois, les articles 1851 à 1891 qui s’appliquent au bail commercial sont qualifiés de supplétifs. Autrement dit, les parties au contrat ne sont pas obligées de respecter ces règles, à quelques exceptions près, et il est donc possible de rédiger un bail commercial qui écarte les règles du CCQ. C’est pourquoi il n’est pas rare de voir un bail commercial de presque 100 pages; il s’agit de l’outil principal de gestion de la relation entre le locateur et le locataire, et les articles du CCQ ne servent qu’à compléter le bail pour une situation qui n’est pas prévue dans celui-ci.
Du point de vue d’un propriétaire d’immeuble qui loue des locaux commerciaux, le bail est d’une importance primordiale parce que le CCQ favorise généralement le locataire. Cet article servira à expliquer les différentes obligations que le CCQ impose au locateur. En voici les principales, mais gardez en tête qu’en pratique, les baux commerciaux transfèrent la plupart des obligations au locataire.
1. Délivrer l’immeuble en bon état de réparation
Le locateur a l’obligation de délivrer les lieux loués au locataire[1]. C’est l’obligation la plus évidente et le locateur ne peut la transférer puisqu’il s’agit de la base même du contrat. Cela implique, par exemple, de remettre les clés au locataire à la date prévue au contrat afin que celui-ci puisse avoir accès au local.
Cette obligation s’applique aussi aux parties accessoires aux lieux loués. Il est fréquent que des espaces de stationnement soient incluses dans le bail d’un local commercial, et ces espaces sont qualifiés d’accessoires. Le locateur doit alors les rendre disponibles à la date prévue au contrat, tout comme le local lui-même.
Le locateur doit aussi délivrer l’immeuble en bon état de réparation. Même si la notion de vice caché est surtout associée à la vente d’un immeuble, les tribunaux ont établi qu’il existe un équivalent en matière de bail. En effet, l’obligation de délivrer l’immeuble en bon état de réparation implique que le locateur est responsable de tout défaut dans l’immeuble, qu’il soit caché ou visible lorsque le contrat est conclu. Le locateur serait responsable d’une infiltration d’eau, par exemple. Par contre, en pratique, les baux commerciaux écartent presque toujours cette responsabilité et la transfèrent au locataire. En tant que propriétaire d’immeuble, pour éviter d’assumer cette responsabilité, il faut penser à l’indiquer clairement au bail.
2. Procurer au locataire la jouissance paisible des lieux loués
Cette obligation attribuée au locateur est très vaste et implique plusieurs situations. L’idée générale est que le locataire puisse utiliser les lieux loués avec confiance, tranquillité d’esprit et sans crainte de risque d’accident[2]. L’un des aspects intéressants est l’obligation pour le locateur d’assurer la sécurité minimale de l’immeuble.
Dans la décision Riocan Holdings inc. c. 4381882 Canada inc., la Cour supérieure a bien établi les limites de l’obligation du locateur en matière de vol[3]. Celui-ci doit s’assurer que l’accès aux lieux n’est pas trop facile pour un tiers, et qu’en conséquence les portes et les fenêtres doivent être dotées d’un système de fermeture suffisant. Par contre, son obligation ne va pas jusqu’à garantir au locataire qu’aucun intrus ne s’introduira dans les lieux loués. Dans cette affaire, le locataire a été victime de trois vols en peu de temps, et le tribunal a conclu que c’était sa propre responsabilité d’augmenter les mesures de sécurité puisque le locateur avait déjà pris les mesures de base.
3. Ne pas changer la forme ou la destination de l’immeuble
Le CCQ mentionne que les deux parties, autant le locateur que le locataire, ne peuvent changer la forme ou la destination de l’immeuble pendant le bail[4]. Le changement ainsi interdit peut être une modification apportée directement à l’immeuble ou à ses accessoires, ou encore un changement dans les conditions prévues au bail.
Par exemple, un locateur qui construit un mur portant ombrage à la terrasse d’un restaurant est un changement de forme de l’immeuble qui nuit au locataire exploitant ce restaurant[5], tout comme l’installation d’une clôture qui nuit à la circulation du locataire[6].
Il est intéressant de souligner que même lorsque le locateur apporte des améliorations à l’immeuble, cela peut être vu comme un changement de forme de l’immeuble nuisant au locataire. C’est le cas lorsque celui-ci assume les taxes foncières selon le bail, et que les améliorations apportées font en sorte d’augmenter ces taxes foncières. Le locateur ne peut alors pas faire supporter cette augmentation au locataire s’il n’avait pas d’abord obtenu son consentement à l’amélioration.
Il peut également être décidé que l’immeuble a changé de destination même s’il n’y a pas eu de changement matériel. Dans un immeuble comportant plusieurs locaux, un locataire va souvent accorder de l’importance à l’activité des autres locataires au moment de conclure le bail. Un locateur devrait prendre des moyens pour s’assurer de conserver le même genre de locataires pour éviter de se faire reprocher d’avoir changé la destination de l’immeuble. En ce sens, il devrait également inclure une clause d’usage dans le bail de tous ses locataires afin de préciser les activités qu’ils sont autorisés à exploiter.
4. Garantir les troubles de droit et les troubles de fait des autres locataires
Les troubles de droit viennent généralement de règlements municipaux, de zonage ou d’urbanisme, qui imposent toutes sortes de normes à respecter pour exploiter un commerce. Cela peut toucher des normes du bâtiment pour exploiter un restaurant, par exemple, ou encore un nombre minimal de places de stationnement disponibles pour opérer un commerce de détail. L’impossibilité pour un locataire d’obtenir un certain permis est également un trouble de droit.
Le CCQ impose au locateur de garantir au locataire qu’il peut opérer son activité dans son immeuble en respect des règlements. Comme pratiquement toutes les obligations en matière de bail commercial, celle-ci peut être écartée par le bail et le locateur peut donc se décharger de toute responsabilité quant aux troubles de droit. Par contre, les tribunaux ont établi qu’une clause devait être très claire pour que le locateur écarte sa responsabilité. Une clause mentionnant simplement que le locataire doit se conformer aux lois et règlements en vigueur n’est pas suffisante[7].
Les troubles de fait, quant à eux, sont les inconvénients que peut subir un locataire par le fait de quelqu’un d’autre. Il peut s’agir de bruit, d’odeurs, de travaux de construction, de la présence d’intrus ou même d’incendies. Le CCQ prévoit que le locateur n’a pas à indemniser le locataire pour un trouble de fait qu’il subit par la faute d’un tiers[8]. Toutefois, le locateur est responsable pour le trouble de fait causé par un autre locataire ou par une personne à laquelle cet autre locataire autorise l’accès à l’immeuble, comme un employé.
Encore une fois, même si le locateur peut prévoir une clause au bail qui écarte sa responsabilité en cas de problème avec un autre locataire, les tribunaux ont tendance à pénaliser un locateur qui ne prend aucun moyen raisonnable pour prévenir un problème malgré l’existence d’une telle clause[9].
5. Faire toutes les réparations nécessaires à l’immeuble loué
Le principe établi par le CCQ est que le locateur doit faire toutes les réparations nécessaires à l’immeuble et en assumer les dépenses, sauf les menues réparations d’entretien qui doivent être assumées par le locataire[10].
En pratique, le bail commercial désigne les travaux de réparation comme des frais d’entretien de l’immeuble et ils sont séparés en plusieurs catégories comme les travaux de réparation, de remplacement, de réparation importante ou de travaux concernant la structure de l’immeuble. La majorité des baux transfère la charge d’une partie de ces travaux au locataire, parfois même tous les travaux. Le cas typique est celui où le locataire assume tous les travaux d’entretien et de réparation, sauf ceux qui concernent la structure de l’immeuble, qui sont généralement les plus importants.
La charge des travaux peut donc être vue comme une portion additionnelle au loyer de base. Une pratique très répandue entre les parties à un bail commercial est de qualifier le contrat de bail «net», de bail «net-net» ou de bail «absolument net». Ces expressions sont multiples et servent à déterminer les dépenses qui sont transférées au locataire. Bien qu’elles sont souvent utilisées en pratique, leur sens juridique n’est pas toujours clair et il est préférable de définir clairement quelle partie doit assumer chaque type de réparation.
Cela conclut la revue des principales obligations du locateur en matière de bail commercial. Comme vous avez déjà compris, la chose la plus importante à retenir est que ces obligations peuvent être transférées au locataire dans une certaine mesure, et elles le sont souvent en pratique. C’est pourquoi un bon bail commercial est essentiel, et nous vous recommandons fortement de faire rédiger ou analyser le vôtre par un professionnel du droit.
[1] Art. 1854 C.c.Q.
[2] Droit spécialisé des contrats, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000, p. 322
[3] Riocan Holdings (Québec) inc. c. 4381883 Canada inc., 2011 QCCS 2602
[4] Art. 1856 C.c.Q.
[5] 9014-4080 Québec inc. c. 2626-8821 Québec inc., 2005 CanLII 2204 (QC CS)
[6] Carrosserie Omer German inc. c. Centre de Débosselage Pont-Rouge inc., 2011 QCCS 5937
[7] Tadros c. 9164-1852 Québec inc., 2016 QCCA 1477
[8] Art. 1859 C.c.Q.
[9] 142883 Canada inc. c. 9037-8068 Québec inc., 2000 CanLII 17820 (QC CS)
[10] Art. 1864 C.c.Q.